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Le naufrage du Philomel
A la rencontre du Philomel
Le lendemain, le convoi quitte la rade bretonne dans les premières heures de la journée. Avec ses 95,25 mètres de longueur pour 13,20 mètres de largeur et 6,17 mètres de tirant d'eau, le Philomel est le plus gros bateau du convoi ce qui lui vaut l'honneur d'être placé juste derrière le patrouilleur de tête. Le capitaine Wilson n'a pas demandé à être placé dans la colonne de terre, moins soumise aux impitoyables attaques des sous-marins allemands qui sévissent avec une efficacité redoutable ; aussi, c'est dans la colonne côté large que le steamer prend position. En tête de convoi, il revient au Philomel de prendre à son bord un des deux pilotes chargés de guider le groupe. M. Sanzun, de la flotte française, accompagne donc les vingt-six Anglais, les treize Belges et le Russe constituant l'équipage du navire.
La machine à triple expansion de 439 CV propulse, sans faillir, le Philomel sur une mer docile. La houle légère et le faible
clapot pourraient rendre le voyage agréable mais, pourtant, la tension est grande parmi les équipages car les U-Boote sont peut-être
là, à l'affût, prêts à frapper. Des centaines de navires marchands ont déjà connu l'attaque sournoise et imprévisible des torpilles,
sans compter les obus ravageurs des canons placés à l'avant de nombreux sous-marins. Des millions de tonnes de navires de commerce et
de pêche, ainsi que les marins qui les servaient, reposent à jamais au fond des mers. Dès lors, la faible brise de cette fin d'été et
la bonne visibilité n'ont aucune chance de faire oublier la redoutable efficacité de ces requins d'acier, tapis on ne sait où sous les
flots. Leur présence hante constamment les esprits des équipages en sursis.
A bord du Philomel, sept hommes assurent la veille : une vigie, un barreur, un canonnier à la pièce de douze livres du modèle
de l'amirauté anglaise, le capitaine et deux officiers à la passerelle en compagnie du pilote. Le convoi ne s'écarte pas de la côte
pour n'exposer qu'un seul bord à l'ennemi. Il passe en dedans de l'archipel de Glénan, puis fait route vers les coureaux de Groix.
Il est environ dix-huit heures quand une violente explosion retentit en tête du convoi : le Philomel vient d'être touché par
une torpille par tribord avant, au niveau de la soute à charbon. Le sillage, aperçu par le pilote juste après la déflagration, ne laisse
aucun doute quant à la nature de l'attaque, même si aucun sous-marin n'est en vue. Une épaisse fumée enveloppe bientôt l'avant du navire
qui s'incline irrémédiablement et coule par la proue en vingt minutes avec sa T.S.F. et les documents relatifs aux codes secrets de
l'Amirauté. Le pilote, dans un dernier réflexe note un amer : le clocher de Clohars-Carnoët dans l'entrée du port de Doëlan. Le convoi
ralentit à six nœuds et seuls les escorteurs se portent au secours des malheureux, ainsi que le règlement l'impose en pareil cas. Par
chance, tout l'équipage a pris place à bord des embarcations de sauvetage et le patrouilleur américain Rambler, arrivé le
premier sur zone, prend en charge les rescapés qui seront le soir même débarqués à Lorient. Le mousse anglais et un des chauffeurs
belges, souffrant de légères contusions aux épaules et aux bras, sont admis à l'hôpital maritime.
Voilà encore quelques années, l'épave, située à près de cinq milles de la côte, ne recevait la visite que d'une poignée de
passionnés dotés d'une acuité visuelle hors du commun et se permettant l'aventure en priant Eole de chasser la brume celtique
dévoreuse d'amers et d'alignements. Heureusement, la démocratisation du G.P.S. a rendu cette épave accessible à de nombreux plongeurs.
Elle est située au point 47° 42,513 Nord - 003° 40,846 Ouest.
La technique ne fait hélas pas tout et il faut choisir un temps clément pour programmer la balade qu'il est sage de faire à deux
bateaux car, comme souvent dans les parages, il arrive qu'un petit clapot désagréable puisse se lever assez rapidement.
Cette épave, effondrée en son milieu, remonte néanmoins d'environ cinq mètres ; elle est donc identifiable très facilement avec l'aide
d'un bon sondeur.
La descente, sur un fond d'une quarantaine de mètres, s'effectue impérativement le long de la ligne de mouillage que l'on prendra
soin de bien assurer sur la carcasse. Etrangement, il faut parfois traverser une couche de dix mètres d'eau peu engageante, souvent
chargée de particules planctoniques et susceptible de rebuter les indécis. Mais Neptune sait se montrer magnanime envers les plongeurs
sages et persévérants, alors, passé cette barrière, le "Philo" apparaît dans son écrin de cristal vert.
Deux énormes chaudières et une plus petite, abritant des congres aux dimensions en rapport, reposent sur un capharnaüm métallique où
se mêlent, de part et d'autre, des débris indéfinis aux formes les plus variées.
Si vous vous dirigez vers l'arrière, vous trouverez des restes de marchandises diverses émergeant, ça et là, du sol sableux. Du tissu
en rouleau semble encore bien solide mais il est peu probable qu'il couvre demain les épaules d'un prince.
Au-dessus de l'énorme safran posé à plat, la mèche du gouvernail s'élance vers la surface. Par contre, l'absence d'hélice confirme
que cette épave a manifestement fait l'objet de travaux sous-marins. A côté des vestiges du canon de douze livres, de marque
Vickers, et de sa crinoline encore reconnaissables au milieu de la poupe effondrée sur bâbord, se trouve une petite ancre à jas.
Par ailleurs, vers le milieu de l'épave gisent de nombreuses douilles dont les opercules de fermeture, rongées par l'eau de mer, laissent
entrevoir les filaments de cordite. Comme pour tout ce qui concerne les explosifs et engins pyrotechniques, la plus grande prudence
est de rigueur et mieux vaut éviter toute manipulation.
En se dirigeant vers l'avant, on est surpris par la cargaison on ne peut plus hétéroclite : des bouteilles de toutes formes et de
toutes capacités jonchent le sol entre les barreaux métalliques des ponts disparus ; de la vaisselle, hélas presque toujours brisée,
et des matériaux aux apparences d'ardoises parsèment la balade. En observant bien, on y trouve même les débris d'une cuvette de toilettes.
On peut y apercevoir également ce qui semble être un cabestan aux dimensions respectables.
Continuez jusqu'à la proue, modestement dressée mais qui reste magnifique, particulièrement son côté tribord sur lequel on aperçoit une
superbe ancre à pattes articulées dans son écubier. Sa sœur jumelle lui tourne le dos sur bâbord mais est nettement moins visible car
l'étrave s'est légèrement affaissée de ce côté. Les deux ancres sont reliées par deux grosses chaînes à un imposant guindeau qui trône
sur le dessus de cette partie avant.
Cette épave, extrêmement intéressante, mérite au grand minimum une deuxième visite. A cette profondeur, le temps passe si vite qu'il
est quasiment impossible, lors d'une première plongée, de bien se rendre compte de l'aspect général du Philomel, et d'en
découvrir tous les charmes. Et Dieu sait qu'ils sont nombreux.
L'utilisation d'un fil d'Ariane est vivement conseillée car il est impératif de revenir sur la ligne de mouillage afin d'effectuer ses
paliers dans de bonnes conditions. En outre, cette technique permet d'éviter d'agrémenter la rubrique estivale des faits divers en
passant la nuit, accroché à une bouée de casier, à cause d'un traître courant qui vous aurait empêché de rejoindre votre embarcation.
Ne riez pas, cela peut arriver…
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