C'est au cours d'une de ses nombreuses plongées d'entraînement qu'Alain Gautron, plongeur tek passionné d'Histoire, a fait l'une de ces découvertes qui vous marquent un plongeur
à vie. Ce matin d'octobre 2022, alors qu'il se laisse dériver au gré des courants à une centaine de mètres de la célèbre épave groisillonne de l'U 171, son oeil est attiré par
une petite masse sombre coincée dans une brèche rocheuse. Il en extirpe délicatement une vieille paire de jumelles bien abîmées malencontreusement tombées d'un bateau. Quel ne sera pas
sa surprise, au palier, de découvrir le célèbre poinçon de la Kriegsmarine orné d'un svastika frappé près de la molette de réglage. Pas de doute, il s'agit bien d'une paire de
jumelles qui dotait l'équipage de l'U 171 et qui a fini au fond de l'eau lors du naufrage du 9 octobre 1942, quelque quatre-vingts années plus tôt.
Bientôt germe en Alain l'idée d'une commémoration à la mémoire des jeunes marins tombés en mer ce jour d'octobre 1942 et en l'honneur de cette épave qui a réjoui des générations de
plongeurs de tous horizons jusqu'à faire naître des vocations de chasseurs d'épaves. Elle prendra place sur le site où repose l'épave, ce 9 octobre 2022, quatre-vingts ans jour
pour jour après cette victoire alliée qui fut également un drame de la mer.
Accompagné de quelques amis plongeurs, Alain souhaitait ainsi rendre une visite mémorielle au "Soum" avant de poursuivre par un échange autour des U-Boote et de
l'U 171 avec un public de passionnés au sein des locaux du centre nautique Sellor plongée Kerguelen à Larmor-Plage.
Cet U-Boot du type IX-C, construit à Brême aux chantiers Deschimag AG Wesser, est mis en service le 25 octobre 1941. Après une classique affectation à la quatrième flottille
comme bâtiment-école, sous le commandement de l’Oberleutnant zur See Gunther Pfeffer, il est affecté, le 1er juillet 1942, à la dixième flottille de Lorient comme unité de
combat. L'U 171 quite la Baltique pour se diriger vers le golfe du Mexique en vue de sa première patrouille de guerre. Mais les conditions ont changé : aux nombreux succès
allemands obtenus dans cette zone au début de l'année est désormais opposée la très efficace tactique des convois, seul moyen éprouvé de faire échec aux U-Boote.
L'U 171 passe tout d’abord au sud de la Jamaïque pour se rendre dans son secteur d’opération, au large de Tampico, grand port mexicain. Et il faut se rendre à l'évidence : le
trafic maritime s'est raréfié si bien qu'il faut attendre le 26 juillet pour que soit torpillé le vapeur Oaxaca (4 351 tx). Le 13 août, le pétrolier R.M. Parker Jr. (6 779 tx)
subit le même sort, puis vient le tour du pétrolier Amatlan (6 511 tx) d’être envoyé par le fond, le 4 septembre.
La mission arrivant à terme, le sous-marin reçoit l'ordre de rejoindre sa base. Le 9 octobre 1942, l'U 171 a rendez-vous au point Lucie 2, à cinquante milles dans l’ouest de
Lorient, avec une escorte qui, bien qu'en route pour le rejoindre, n’est pas encore en vue. Malgré tout, le victorieux submersible n’est pas seul, plusieurs avions allemands surveillent
les alentours dont un trimoteurs Junkers 52 'Mausi' détecteur de mines. Le commandant Pfeffer décide de s’approcher mais, vers 13h30, peu après le passage du Junkers, retentit une
énorme explosion : l'U 171 vient d’être victime d’une mine magnétique britannique ! Le commandant Pfeffer pense tout d’abord maintenir le sous-marin à flot mais il devient
rapidement évident que ce sera peine perdue, le "loup gris" prend de la gîte et commence à sombrer. L’ordre d’évacuation est donné, puis les événements vont très vite : l'U 171
s’enfonce par la proue, emprisonnant les marins qui n’ont pu sortir à temps, la poupe hors de l’eau, ses deux hélices brassant désespérément l’air. Dans la salle des moteurs Diesel et
électriques, l’eau s’est engouffrée, noyant tous les marins qui n’avaient pu évacuer assez rapidement mais, dans la partie avant, se joue un deuxième drame. Des hommes ont pu fermer
l’écoutille de la salle des torpilles, isolant le compartiment. Chacun des dix-sept sous-mariniers prisonniers porte son appareil respiratoire de sauvetage, le fameux Tauchretter,
l’appareil de la dernière chance. L’eau monte doucement et inexorablement à l’intérieur du sous-marin, les tympans font mal ; des vapeurs de chlore, irritantes ppur les yeux et les poumons,
se dégagent des accumulateurs noyés. Au bout d’une heure environ, l’avant est tellement inondé que les pressions extérieure et intérieure s’équilibrent. L’Obergefreiter Sauter
réussit à ouvrir le panneau de chargement des torpilles par lequel parviennent à s’échapper seize hommes, dont l’Oberfahnrich zur See Kurt Lau. Le dix-septième, pour des raisons
demeurées inconnues, reste coincé et se noie. Un des quinze sous-mariniers meurt plus tard des suites de brûlures de potasse dues à l’introduction d’eau dans la cartouche filtrante de
son Tauchretter. Les survivants sont repêchés par des canots du Sperrbrecher 134 et d’autres vedettes.
Sur un effectif de quarante-neuf hommes, vingt-deux sous-mariniers allemands, dont deux aperçus en train de nager par leurs camarades, manquent à l’appel au soir du 9 octobre 1942.
C'est à l'abri des embruns et du froid que s'est poursuivie la journée avec la tenue d'une conférence animée notamment par Alain Gautron, à l'origine du projet ; Jean-Louis Maurette, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la guerre sous-marine, la chasse aux épaves et les célèbres U-Boote ; ou Éric Le Gall venu présenter l'Atlas des Épaves. L'occasion d'échanger autour de cette épave fort prisée des plongeurs et des amateurs d'Histoire mais aussi évoquer les sous-marins français de l'après-guerre avec un public toujours avide d'informations et peu avare en anecdotes. Le tout accompagné d'images sous-marines de l'épave signées Jacques Le Lay.
À gauche : les tubes lance-torpilles arrière et l'une des deux hélices.
À droite : les puits des périscopes d'attaque et de veille aérienne.
À gauche : Jean-Louis Maurette détaille les U-Boote autour de films tournés sur l'épave de l'U 171.
À droite : les jumelles allemandes retrouvées par Alain Gautron.
Quelques extraits vidéo de cette journée de commémoration et retour sur une épave connue dans toutes l'Europe et bien au-delà.
Nos remerciements vont à Daniel DEFLORIN (Emposieu Prod)
pour ces vidéos.
9 octobre 2022 : le mot d'Alain GAUTRON, inventeur de la paire de jumelles (1'36)
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